Comprendre la question du thon
- Pêche
Réputé pour ses bienfaits nutritionnels, sa bonne consistance, et mondialement utilisé en cuisine, le thon en boîte est de nos jours le produit de la mer le plus consommé au Monde. Grand migrateur évoluant dans les eaux tempérées, le thon est aussi le poisson le plus pêché, avec pas moins de 5,7 millions de tonnes de thon prises en 2019 dans les Océans (*).
Sur les 13 espèces existantes, 7 sont utilisées à des fins commerciales. Et ce sont les thons listao (Katsuwonus Pelamis), albacore (Thunnus albacares) et obèse (Thunnus obesus) qui représentent à eux seuls 95 % du marché mondial (*).
Le thon que nous travaillons à la belle-iloise, le blanc germon (Thunnus alalunga), est l’une des plus petites espèces de thons : 40kg pour 1,20 mètre maximum, contre 700kg et 4 mètres de longueur pour les plus grands thons rouges. Moins menacé, le thon germon correspond à 4% des volumes de thon pêchés (*).
Le thon, un poisson méconnu jusqu’au XXe siècle
Jusqu’au XXe siècle, la pêche et la consommation de thon sont quasiment inexistantes dans le Monde. En France, seuls les marins pêcheurs de certaines régions très précises le connaissent depuis des siècles : les Basques et les habitants de l’Ile d’Yeu le pêchent à l’hameçon l’été, de San-Sebastian à Belle-Ile, afin de servir de provision l’hiver. Tranché puis enrobé de sel ou plongé dans du vinaigre, il sert à tenir pendant les rudes temps hivernaux.
Décrit et observé scientifiquement pour la première fois par le zoologiste italien Francesco Citti au large de la Sardaigne en 1777 (**), le thon blanc germon est inscrit sous l’appellation universelle Thunnus alalunga dans l’Ichtyologie du naturaliste français Bonnaterre en 1788 (**). « A la lunga » en italien signifie « à la longue », en référence à la longue nageoire pectorale du Germon, remarquable en comparaison des autres espèces. Les pêcheurs basques avaient d’ailleurs la coutume de l’appeler « hégalalouchia », soit « aile longue » en français. Les pêcheurs de l’Ile d’Yeu le qualifiaient quant à eux de « longue oreille ».
Au 19e, les marins de l’Ile de Ré, des Sables d’Olonne et de l’Ile de Groix apprennent la pêche au thon par les pêcheurs de l’Ile d’Yeu qu’ils embauchent pour l’occasion. Le thon blanc salé s’affiche alors sur les marchés de Paris aux côtés du thon rouge de Méditerranée. Le Germon commence à être célébré pour «la bonté de sa chair», comme le remarquent les anatomistes Cuvier et Valenciennes, dans la monumentale Histoire naturelle des poissons en 1831 (**).
A la même époque, l’invention française du procédé d’appertisation révolutionne la conservation des aliments, et les sardines en boîte apparaissent dans la foulée. Mais il faut attendre les années 1920 pour goûter aux premières conserves de thon germon, et les années 1950 pour les premières boîtes de thon albacore. Dès lors, la popularité du thon en conserve décolle.
Le thon, aliment universel du monde contemporain
Au XXe siècle, de réserve alimentaire hivernale à intérêt régional limité, le thon devient un aliment universel. La conserve, invention majeure pour l’humanité, s’est démocratisée, facilitant la conservation et la consommation du poisson. Les progrès technologiques ont aussi industrialisé la pêche, accélérant les prises de thon.
Ainsi, en 70 ans, les captures mondiales de thon ont augmenté de plus de 1000%, passant de 500 000 en 1950 à 5,7 millions de tonnes en 2019 (*). Au-delà du succès du thon en boite et de l’évolution des modes de vie, cette hausse gigantesque s’explique aussi par la croissance exponentielle de la population mondiale qui a triplé depuis 1950.
La boite de thon, dont le poisson est malheureusement souvent pêché à l’aide de DCP (***) est emblématique de la civilisation contemporaine et de ses dérives. Aujourd’hui, on doit, ensemble, fixer des limites, s’accorder pour instaurer un équilibre.
S’accorder pour mieux pêcher et consommer le thon
Aujourd’hui, grâce aux efforts conjoints des institutions publiques, des associations environnementales, et des acteurs de la filière pêche, le thon reste un poisson disponible dans la majorité des zones FAO avec 65% des stocks de thon exploités durablement (*). Toutefois 35% des stocks demeurent surexploités (*), un chiffre trop élevé et relativement constant, qui ne diminue pas dans les zones à risque.
Le cœur du problème se situe dans les excès. Aller pêcher le poisson en justes quantités, c’est-à-dire seulement le poisson dont on a besoin, au jour le jour, dans les zones où l’état des stocks est satisfaisant, est la première règle à faire appliquer par tous pour éradiquer la surpêche.
Ça ne veut pas dire d’arrêter de manger du thon, mais de mieux le pêcher et de mieux en consommer. C’est un travail en cours, un cheminement collectif avec les Nations unies, les institutions publiques, les scientifiques, les pêcheurs, les associations environnementales et tous les acteurs de la filière pêche, y compris les conserveries, mais aussi les consommateurs.
Le thon blanc germon la belle-iloise : la garantie de l’exception
Notre thon blanc germon est toujours pêché sans DCP (***), à maturité, en dehors des périodes de reproduction. Pour preuve, notre cahier des charges interdit d’acheter les thons en-dessous de 8kg, considérés comme juvéniles par les scientifiques. Ne s’étant pas encore reproduits, les pêcher empêcherait la relève générationnelle.
Soucieuse de son impact et vouée à bien faire les choses, la belle-iloise se différencie de la majorité des acheteurs en se fixant cette règle d’achat. Le code d’usage calibre le thon en 3 tailles : 0-4kg, 4-7kg et >7kg. Et c’est volontairement que nous augmentons l’exigence à 8kg et plus.
Nous privilégions aussi la pêche à la canne pour le thon avec l’utilisation d’une ligne et d’un hameçon, donc un poisson pêché à la fois. Avec cette méthode plus respectueuse, le thon est plus qualitatif après la pêche. Il préserve toute sa saveur, qualité et fraicheur.
Il s’agit donc pour la belle-iloise d’être vigilante à la manière dont les pêcheurs font leur métier, quel matériel ils utilisent, là où le poisson est pêché, à quelle saison, et de surveiller les quotas officiels tels que le TAC (Total Admissible de Captures) défini pour chaque espèce dans chaque zone de pêche internationale délimitée par la FAO (*). Ce sont les points de vigilance édictés par les associations environnementales telles que WWF et Greenpeace, et nous les respectons.
Sources :
(*) Xe Conférence mondiale sur le Thon à Vigo, Espagne, FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture), septembre 2021.
(**) Bibliographie indicative :
Storia naturale di Sardegna : Anfibi e pesci di Sardegna, Francesco Cetti, Florence, Italie 1777.
Tableau encyclopédique et méthodique des trois règnes de la nature : Ichthyologie, Pierre Joseph Bonnaterre, Paris 1788.
L’Histoire naturelle des poissons, Georges Cuvier et Achille Valenciennes, 22 tomes publiés entre 1828 et 1849 à Paris.
(***) DCP : Dispositif sonore de concentration de poissons, par lequel certains pêcheurs prélèvent de grands volumes de poissons d’un seul coup. Pratique fortement décriée par les associations environnementales WWF et Greenpeace, ainsi que par l’ISSF (International Seafood Sustainability Foundation), la Fondation internationale pour la durabilité des produits de la mer.